Essai sur les luxations congénitales en général, et sur celles du fémur en particulier / par J.-P.-Louis Colrat.

  • Colrat, J.P. Louis.
Date:
1838
    SUR LES LUXATIONS CONGÉNITALES EN GENERAL, ET SUR CELLES DU EÉMUR EN PARTICULIER. Indiquer les différentes méthodes de réduction et de guérison des luxations anciennes et congénitales ; faire connaître les conditions de leur guérison définitive ; tel est le texte d’une des questions que je suis appelé à traiter pour sujet de thèse. En me livrant aux recher- ches que nécessite l’obligation qui nous a été nouvellement imposée , j’ai été frappé des services nombreux que l’orthopédie a rendus à la science chirurgicale, et qui lui ont valu une place importante parmi les branches de l’art de guérir. Quel jour, en effet, n’a-t-elle pas apporté dans la thérapeutique des difformités du corps humain qui forment aujourd’hui une classe assez étendue de maladies contre lesquelles venaient presque toujours échouer les moyens chirurgicaux ordinairement si efficaces? En tète de ces difformités si long-temps
    réputées incurables, on peut citer , comme les plus dangereuses et les plus rebelles, les déviations diverses qu’affecte la colonne verté- brale. Grâce à ces précieuses découvertes, le traitement de ces affec- tions a pris rang dans la thérapeutique générale; et des succès ré- pétés ont mis hors de doute la possibilité de leur guérison. Une affection non moins fréquente que celles dont je viens de parler sem- blait , jusqu’à ces derniers temps , devoir être réfractaire aux pro- cédés si ingénieux de l’orthopédie. Les luxations congénitales , eu effet, si long-temps méconnues, et dont on n’avait constaté l’exis- tence sur le cadavre que pour mieux faire ressortir en quelque sorte leur incurabilité, ont depuis peu fixé l’attention des chirurgiens les plus distingués. Parmi les noms de ceux qui, depuis Paletta jusqu’à M. Pravaz, de Lyon , ont si bien contribué à élucider ce point de pathologie chirurgicale , il est juste de mentionner dès à présent celui de 31. Humbert de Morley, dont j’aurai plus d’une fois l’occasion de citer les beaux travaux dans le cours de cette dissertation. Il était réservé à cet orthopédiste habile de soutenir la possibilité des gué- risons des luxations anciennes et congénitales qui avait été niée jusqu’à lui, et de présenter , ou tout au moins de provoquer le perfectionne- ment d’appareils propres à obtenir ces guérisons. Resté étranger aux manœuvres orthopédiques , j’étais loin de songer à traiter un tel sujet de thèse , lorsque le texte de la question que le sort m’avait dési- gnée, et surtout sa nouveauté, ont déterminé mon choix; car, ainsi qu elle était posée, la question me paraissait évidemment trop limitée; j’ai cru qu’avant de la traiter sous le rapport pratique, il était plus convenable de présenter quelques considérations théoriques, d’au- tant que les avis sont loin d’être unanimes sur ce sujet. Ainsi que je l’ai déjà dit, l’histoire détaillée des luxations congé- nitales ne date que d’un petit nombre d’années. Avant cette époque, ce n’est que dans quelques auteurs , et à des intervalles très-éloignés , que l’on trouve mentionné le nom de luxations apportées en naissant. Ainsi, Hippocrate, suivant quelques-uns, semble vouloir en parler dans son livre de articuiis 3 quand il dit : iil f/uibus in matris utcio hic articulas sud sede emotus fuerit , etc Ambroise I até
    O fait aussi mention de luxations que les enfants peuvent se faire dans le sein de leurs mères, par suite de pressions auxquelles ils auraient été soumis. Enfin , Louis parle d’une luxation à la cuisse survenue chez un enfant par la mauvaise manœuvre à laquelle s était livrée la sage-femme en le tirant par les pieds. 11 ne s’agit jusqu’ici que de luxations opérées sous l’influence de circonstances extérieures. La véritable cause, ou du moins la plus commune, est complètement méconnue : du reste, ces observations ne donnent lieu à aucune indication pratique ; car ces chirurgiens ont soin d’établir én principe que ces luxations ne peuvent pas se guérir, et que les tractions qu’on exercerait, dans la vue de remé- dier au déplacement, seraient plus dangereuses qu’utiles. D’un autre côté, on trouve dans les ouvrages de Morgagni, Bonnet, Sandifort, quelques cas de luxations congénitales qui n’ont été remarquées qu’à l’autopsie. Le résultat de leurs observations, comme j’aurai lieu de l’indiquer encore, conclut toujours à l’incurabilité de la maladie. Il faut remonter jusqu’en 1788, pour en trouver une des- cription un peu détaillée. Le travail que le célèbre Paletta publia, à cette époque, dans son ouvrage aclversaria chirurgical et qui a pour titre: de claudicatione congcnitd, est surtout remarquable par les observations consciencieuses qu’il renferme, et par une apprécia- tion exacte des symptômes qui caractérisent cette difformité. Bien que le mémoire de Paletta laisse encore à désirer , il a mérité de fixer, d’une manière particulière, l’attention des chirurgiens. Depuis lors, en effet, l’histoire des luxations congénitales s’est enrichie de nouvelles recherches qui ont singulièrement élucidé cette question presque ignorée. Parmi ces recherches, auxquelles Delpech a pris une si belle part dans son orthomorphie, se font remarquer, à juste titre, celles de Dupuytren, qui a présenté la description la plus complète de ces luxations. Enfin , aux noms si honorablement connus de MM. Humbert et Pravaz, que j’ai déjà cités, je joindrai encore ceux de Duval, Jalade-Lafont et Simonin de Nancy, dont les études sérieuses ont également contribué aux progrès qu’a faits la théra- peutique de celte affection.
    Les chirurgiens ont diversement apprécié le mode de formation des luxations congénitales. Dans les observations qu’il a pu vérifier par l’autopsie, Paletta a presque toujours vu quelles étaient dues à des difformités natives existant, soit dans les ligaments, soit dans la cavité cotyloïde, soit dans la tête môme du fémur. 11 est conduit à penser que cette maladie dépend d’un vice de nutrition. MM. Bres- chet et Dupuytren, s’étayant d’un certain nombre de luxations ob- servées sur le cadavre, ont également soutenu que toujours elles avaient lieu par arrêt de développement; le premier surtout a con- stamment reconnu que la cavité cotyloïde est oblitérée , ou que du moins son volume est rétréci et réduit de beaucoup. Les observations de Morgagni , Bonnet, Sandifort, font aussi mention de plusieurs cas de luxation dans lesquels la tête du fémur était terminée par un cône plus ou moins saillant, et reposait sur une espèce de fente lon- gitudinale ou sur une dépression qui remplaçait la cavité cotyloïde. De toutes ces observations, il était naturel de conclure que les luxations congénitales sont toujours produites par quelque accident qui est venu troubler l’ordre de l’évolution embryonnaire; et ainsi s’explique le nom de luxations spontanées par lequel Chaussier a voulu les distinguer de celles qui peuvent dépendre de causes méca- niques , et celui d’originelles que leur a donné Dupuytren, spécifiant ainsi leur étiologie propre., leur mode de formation première. Est-il naturel de croire, avec quelques-uns, que ces luxations sont dues à une maladie survenue chez le fœtus? Je ne le pense pas ; car on n’observe jamais de fistules, de cicatrices ; assez souvent même les membres affectés sont dans un état de nutrition assez satisfaisant, et ne présentent pas l’atrophie qui devrait exister, si l’affection avait précédé. Cependant Delpech cite un cas dans lequel il pense que le rhumatisme a produit le défaut de nutrition du fémur et la luxation du même os. La jeune fille qui fait le sujet de cette observation présentait aussi un déplacement de l’os coxal correspondant; celui- ci était plus élevé que dans l’état normal ; la symphyse sacro-iliaque était singulièrement relâchée; le membre était plus court et moins développé que celui du côté sain ; la tête du fémur faisait saillie
    près de la crête iliaque. Il serait tout aussi rationnel d’admettre que la luxation était antérieure au rhumatisme, et que celui-ci n’a agi sur l’os coxal avec autant d’énergie, que par suite des changements survenus dans ses rapports avec le fémur. On a dit aussi qu’une cause extérieure agissant sur la mère pouvait retentir jusque sur le fœtus, au point de déterminer la luxation. L’influence de cette cause semblerait ne pouvoir pas être invoquée dans le cas de luxation con- génitale des deux fémurs, comme on l’observe le plus souvent; car il est difficile de concevoir une cause qui ait porté en même temps sur les deux articulations. Cependant un exemple de luxation con- génitale du genou, rapporté dans un des numéros de la gazette mé- dicale de cette année, tendrait à faire admettre cette cause ; en effet, quelques semaines avant l’accouchement qui fut naturel, la mère avait reçu un coup sur le ventre; la jambe gauche du nouveau né était fléchie en avant sur la cuisse; le pied reposait sur l’aine droite. Cette luxation ne présenta pas, du reste, de grandes difficultés; elle fut réduite et maintenue par un simple appareil. On a également considéré comme causes de luxation certaines manœuvres faites pen- dant l’accouchement, et la flexion exagérée des cuisses sur le bassin. Pour ce qui est des fausses manœuvres, il serait difficile de nier leur influence; il est certain que, dans quelques cas ( et celui de Louis peut en être la preuve ), elles ont produit la luxation. D’un autre côté, par suite de la flexion extrême des cuisses sur le bassin, il peut arriver que la tête du fémur comprime avec force la partie postérieure de la capsule , la déchire et glisse ainsi dans la fosse iliaque, entraînée par l’action des muscles fessiers. Enfin, une der- nière opinion à laquelle on s’est rattaché, et qui a été soutenue, dans le sein même de l’Académie de médecine, par MM. Capuron et Velpeau , est que les luxations congénitales surviennent presque toujours par le mécanisme de l’accouchement, et chez les enfants qui viennent au monde par les fesses. De toutes ces considérations il résulte qu’on ne saurait admettre une seule et même cause comme présidant au développement de cette espèce de luxation. Lien que, dans un grand nombre de cas.