Observations sur l'argyronète aquatique / par Félix Plateau.

  • Plateau, Félix.
Date:
1867
    ( 1' ) aux membres, mais, même lorsque le nid est abandonné, les tarses et les palpes sont encore privés de crochets. Tous les individus quittent-ils en même temps la de- meure maternelle? Je ne le pense pas; je ne puis, il est vrai, me baser à cet égard que sur une seule observation; la voici : en ouvrant la chambre supérieure d’un nid que je croyais vide, j’y ai trouvé une seule argyronète d’une taille un peu plus grande que celle des jeunes sur le point de commencer leur vie active; cette taille me fit soup- çonner que c’était un mâle, car, dans cette espèce, le mâle adulte est, comme on le sait, à peu près double de la fe- melle; bien que les organes génitaux ne fussent pas encore développés, la forme des palpes, plus courts et plus trapus que ceux que j’étais habitué à rencontrer, vint confirmer ma supposition. Il n’y aurait donc qu’un mâle par couvée, et il habiterait seul le nid longtemps après le départ des femelles; ceci pourrait expliquer pourquoi, tandis que les femelles d’argyronètes sont si communes dans les localités où l’espèce se rencontre, les mâles y sont, au contraire, fort rares. Une fois libres, les petites argyronètes, grâce à leur abdomen velu, s’entourent d’une couche d’air, et se con- struisent chacune une petite loge fort simple, composée d’une bulle d’air de 3 ou 4 millimètres de diamètre, re- tenue par un tissu invisible, tant il est fin. Elles ne se tiennent, pendant longtemps, qu’à une faible profondeur, l’enveloppe d’air qu’elles entraînent, et qui est plus con- sidérable, relativement à leur volume, que chez les argv- ronètes adultes, opposant probablement trop de résistance à leur descente. Elles se réunissent souvent à plusieurs pour attaquer les mouches ou autres insectes qu’on leur donne, car cette espèce est essentiellement chasseuse; 2
    quoi qu’on en ait dit, leurs loges ne peuvent, en aucune manière, servir de piège, l’air qu’elles contiennent les ren- dant trop visibles. L’accroissement des jeunes argyronètes est très-lent; les crochets des tarses n’apparaissent que quinze jours en- viron après que les animaux ont quitté le nid maternel, et, un mois et demi après cette époque, la longueur du corps n’est encore que de 3 millimètres environ. Les argyronètes nées dans mes bocaux étant mortes lorsqu’elles avaient la taille que je viens de citer, je n’ai pu m’assurer du temps nécessaire à l’accroissement com- plet. IL § 5. L’argyronète possède, comme la généralité des arachnides pulmonaires, deux poumons et un système tra- chéen bien développé; mais ses trachées n’appartenant pas à la catégorie des branchies trachéales signalées par Dugès chez les Hydrachna, branchies susceptibles d’ex- traire l’air dissous dans l’eau, l’argyronète doit respirer l’air en nature. On sait qu’à cet effet elle s’entoure par- tiellement d’une couche de ce gaz, et tout observateur qui a tenu cette espèce en captivité l’a vue renouveler sa pro- vision; mais je ne crois pas que personne, depuis De Lignac, se soit enquis de la cause qui fait adhérer si forte- ment l’air en couche épaisse à l’abdomen de l’animal, malgré la vivacité des mouvements de celui-ci, et la faible densité du gaz, lequel doit constamment tendre à monter à la surface de l’eau. Les parties du corps de l’arachnide, recouvertes d’air, sont toute la surface de l’abdomen, ainsi que la face ven-
    ( 1» ) traie du thorax; la face dorsale de ce dernier segment ('I les pattes, excepté à leur hase, sont nues. L’argyronète nage, comme on sait, sur le dos; la ten- dance de l’air qui l’enveloppe à monter porte ainsi ce gaz en plus grande quantité vers les ouvertures respiratoires des poumons et des trachées placées sur la face ventrale du corps. Lorsque, pour renouveler sa provision, l’animal se rend à la surface de l’eau et émerge verticalement son abdomen, en tout ou en partie, on est témoin des faits suivants : l’abdomen est mat et sec, et à l’entour la surface de l’eau est creusée, comme dans le cas où un corps solide, que l’eau ne mouille pas, est partiellement plongé; puis, quand l’argyronète se retire sous la surface, le creux s’appro- fondit, comme un entonnoir liquide plein d’air au fond duquel se trouverait l’arachnide; cet entonnoir s’étrangle tout à coup brusquement au-dessus des filières, et la sur- face de l’eau redevient plane; mais le ventre de l’argyro- nèle est entouré d’une couche nouvelle d’air qui y est restée adhérente. Si, par hasard, dans cette opération, l’araignée a émergé soit une patte, soit une partie dorsale du thorax, l’eau se relève le long de cette partie, comme dans le cas d’un corps mouillé. On peut donc déduire de tout ceci, que les parties du corps de l’argyronète aux- quelles l’air adhère sont celles qui ne se laissent pas mouiller. Comment cette propriété de s’entourer d’une couche d’air est-elle obtenue? De Lignac (l),et plus tard Lalreille (2),qui l’a pour ainsi (1) Op. cit., pp. 56 et suiv. (2) Histoire générale et particulière des crustacés et des insectes: Paris, an X, t. I, p. 221.
    dire copié, admettent qu’une graisse ou un vernis sécrété par l’arachnide recouvre les portions destinées à recevoir la couche d’air. Cette hypothèse a été suggérée évidem- ment par une particularité du même genre propre aux oiseaux aquatiques. Les expériences nombreuses que j’ai faites à ce sujet montrent cependant que l’opinion des auteurs ci-dessus n’est pas exacte, et qu’il faut attribuer la propriété si remarquable de l’argyronète à une tout autre cause. Il est évident, en premier lieu, que si un vernis, une huile ou une graisse recouvre réellement certaines parties du corps de l’argyronète , on ne réussira jamais à mouiller ces parties même après la mort de l’animal. Pour éclaircir ce premier point, j’ai tué une argyronète en lui enlevant la partie antérieure du thorax, et j’ai plongé immédiate- ment le reste dans l’eau. Comme chez l’animal vivant, l’abdomen s’est recouvert d’une couche d’air, mais l’arai- gnée ayant été laissée dans l’eau pendant six ou huit heu- res, la couche de gaz a peu à peu disparu, soit en se dis- solvant dans l’eau, soit autrement; et lorsque j’ai retiré le corps de l’animal, j’ai pu m’assurer qu’il était parfaitement mouillé, si bien que replongé dans le liquide il ne s’enve- loppait plus d’air. Comme on pourrait supposer que l'eau, après la dispa- rition de l’air, avait altéré la couche graisseuse admise par De Lignac, ou même, ce qui est difficile à croire pour un temps aussi court, que l’arachnide avait subi un commen- cement de décomposition, j’ai fait l’essai suivant : j’ai plongé une argyronète successivement dans l’éther et dans l’alcool, en la laissant quelque temps dans chacun de ces deux liquides, pour enlever toute trace de graisse ou de vernis, s’il y en avait; puis ayant fait sécher l’animal à l’air
    ( *1 ) libre, sur du papier à filtre, pendant une heure environ, et ayant rendu autant que possible aux poils leur position normale à l’aide d’une aiguille, j’ai constaté en plongeant dans l’eau le corps ainsi préparé, qu’il se recouvrait d’air comme avant l’action de l’éther et de l’alcool; seulement le gaz n’adhérait qu’aux endroits où les poils avaient été bien redressés. Ces deux expériences se contirment l’une l’autre, et montrent, me semble-t-il, complètement que l’hypothèse d’un vernis ou d’une graisse est inadmissible. J’espère prouver que l’adhérence d’une couche d’air au corps de l’argyronèle s’explique très-bien en attribuant aux poils fins qui recouvrent celui-ci la cause unique du phéno- mène, sans qu’il soit nécessaire de supposer ces poils gras ou résineux. Avant d’aller plus loin, examinons quelle est la struc- ture et la disposition des poils de notre arachnide. Les poils des portions qui se recouvrent d’air offrent les par- ticularités suivantes : les poils de l’abdomen sont d’une ténuité extrême, leur diamètre est d’environ ^ de milli- mètre, et leur longueur varie entre £ et f de millimètre; ils sont garnis de barbules courtes et très-fines sur trois de leurs arêtes. Ces poils sont fournis, et donnent à l’ab- domen un aspect velouté; ils ne sont pas disposés d'une manière uniforme, mais sont groupés la plupart sur de légers replis de la peau en forme de saillies ; ces saillies dessinent, sur le dos surtout, des lignes transversales vi- sibles seulement à la loupe. A la face inférieure du thorax, les poils garnissent les hanches des pattes et la base des palpes; ils sont fournis, mais privés de barbules; il en est de même de ceux qui garnissent le bord interne des cuisses postérieures. Quant